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Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole

Transparences - Collection de design


Felipe Ribon, jeune designer diplômé de l’ENSCI en 2008, a obtenu pour son travail autour de l’hygiène plusieurs prix prestigieux dans le monde du design : prix du public à la Design Parade à Hyères, Grand prix design de la ville de Paris. Il propose à la Cité du Design, pendant la durée de la Biennale, une exposition sur la lumière. Le Musée d’Art Moderne l’a invité à prolonger sa réflexion dans ses murs, et à faire partager son regard sur sa collection de design. Il a conçu en réponse à cette invitation une exposition en quatre espaces distincts, qui mettent en scène non pas des objets lumineux, mais la matière lumineuse elle-même, et la façon dont elle “produit” l’objet.

L’objet se définit entre autres comme une “chose solide, maniable, généralement fabriquée, (…) qui relève de la perception extérieure, appartient à l’expérience courante et répond à une certaine destination”. Dans son usage courant, l’objet issu de la création industrielle n’échappe pas à cette définition. Mais dès qu’il entre dans le musée, l’objet devient œuvre, témoignage, et son statut originel est par là même bouleversé, annulé. De plus, sa capacité à affecter notre perception est tronquée ; il ne peut plus être approché, touché, branché, entendu. Il en résulte un contact incomplet avec l’objet, qui désormais ne pourra être atteint que par le regard.

L’exposition “Transparences” vise à exploiter cette mutilation et à placer le regard au centre de la réflexion ; si la chose regardée n’est plus manipulable c’est le regard lui-même qu’il faut manipuler. Cette concentration de la tension dans l’acte de regarder s’effectue par la recherche de possibles dialogues entre lumière et objet… parvenir à une surexcitation du sens de la vue ayant pour but la mise en relief des caractéristiques plastiques des œuvres exposées.

SALLE 1 - OMBRES PORTEES

La première salle surprend d’emblée le visiteur, par un choix d’objets - les moulins à café - et un choix de scénographie - objets isolés dans un éclairage vertical “théâtral” - singuliers. La banalité de cet objet électroménager (banalité qu’on retrouvera dans la salle 2, attenante) peut étonner dans les salles d’un musée, mais elle correspond bien à la composition de la collection de Saint-Étienne, riche en objets du quotidien, surtout pour la période des années 1950 à 1980, marquée par la généralisation de l’accès au confort ménager.

Décalé de son environnement d’usage par une mise en scène très appuyée qui oblige à l’appréhender autrement, le moulin à café est prétexte à l’interrogation de l’articulation fonction / forme dans un objet qui a la particularité de rester, techniquement parlant, stable à travers le temps. Autour d’une même structure et d’une même fonction (une hélice actionnée par un moteur électrique pour moudre le café) se spécifient différentes formes, relativement ressemblantes pour les objets choisis, mais variant néanmoins dans de multiples détails : agencement des volumes, surfaces, matériaux.

Parmi les choix formels, celui de la transparence, loin d’être anodin, se révèle signifiant. La présence de plastique transparent, majoritairement sur la partie supérieure des objets, répond à un impératif de fonctionnalité : s’assurer du bon degré de moulure du café. Le choix de l’opacité en surface quant à lui, général pour les parties enveloppant l’essentiel de la partie mécanique (le moteur), peut être perçu comme une réponse fonctionnelle à un problème technique : la nécessité de protéger la partie la plus fragile de l’objet, de l’isoler de toute salissure et de faciliter ainsi le nettoyage de l’ensemble.

On peut également s’interroger sur une tendance très forte dans le design du XXème siècle à la dissimulation de la “machine”, considérée comme “sale” et presque taboue, quand par la magie de l’électroménager l’usager ne devrait plus avoir accès qu’au résultat, obtenu sans effort, de l’opération, et non à l’opération elle-même.

SALLE 2 - OMBRES PROPRES

Les tasses, soucoupes, verres d’Harold Barnett (un des grands noms du design industriel français à partir des années 1950, où il dirige la C.E.I, Compagnie d’Esthétique Industrielle), édités par Duralex en 1968, renvoient encore à un univers familier et populaire. L’appréhension sensible des ces objets, diffusés très largement, s’efface en quelque sorte du fait de leur banalité, et leur forme et leur matière, associés à un usage quotidien, sont le plus souvent négligées.

L’usage de la lumière tend ici à modifier cette perception. La puissance des sources lumineuses projetées dématérialise en quelque sorte l’objet, tout en exploitant ses qualités plastiques - forme et matière transparente colorée - pour créer un jeu d’ombres portées. Ce faisant elle fait basculer ces pièces dans une atmosphère où dominent l’artifice, le spectaculaire, l’étrange même, caractéristiques insoupçonnées de ces objets démocratiques et fonctionnels.

Felipe Ribon voit en outre dans ce basculement une métaphore du passage de tels ensembles dans les collections publiques : un phénomène de mise en lumière d’objets anodins, une forme d’élévation ou d’élection de l’objet quotidien.

SALLE 3 – CONTRE-JOUR

C’est encore la lumière qui permet de magnifier le mobilier conçu au milieu des années 1930 par Jules Leleu pour le sanatorium Martel de Janville du Plateau d’Assy, en Haute-Savoie. L’ensemble est exceptionnel, tant pour sa singularité dans l’œuvre de Jules Leleu, représentant de l’Art Déco, revendiquant l’héritage de la grande ébénisterie française, amoureux du raffinement des matériaux et des décors, que pour sa singularité dans le design hygiéniste dont il reprend les principes majeurs (utilisation de tubes d’acier ou de tôle pliée, réduction de l’utilisation de textile et amovibilité des éléments, pour en faciliter le nettoyage), mais sans abandonner dans les détails (application de laque rouge sur l’acier notamment) une certaine préciosité.

La scénographie de cette salle apparaît au premier abord minimale : tournées vers les fenêtres, les pièces semblent chercher le jour, comme en réminiscence de leur contexte d’origine - un sanatorium où les patients venaient soigner leur tuberculose par l’action de l’air, de la lumière et du soleil, réputée assainissante. Les visiteurs s’aperçoivent progressivement que la lumière du jour est en réalité recréée par l’action de projecteurs dissimulés derrière les cimaises.

Felipe Ribon nous rappelle ainsi que dans l’histoire du design, la transparence, la réduction des structures et des décors, et la valorisation de la lumière et de sa pénétration dans l’espace sont fortement liées aux préoccupations hygiénistes nées au milieu du XIXe siècle et particulièrement en vigueur au début du XXème siècle.

SALLE 4 – JOUR

Vingt-cinq chaises de différentes époques et de différents designers sont disposées autour d’un cylindre de lumière central. Objet emblématique du design, et objet de ses plus audacieuses expérimentations, la chaise est choisie comme prétexte à un exercice de révélation de la structure des objets. Le contre-jour et les modulations de l’intensité de la lumière, qui réduisent la perception du volume et tendent à un effet de bi-dimensionnalité, concentrent le regard sur le squelette même de l’objet : contour et masse, vides et pleins, opacité ou transparence, matité ou brillance.

La répartition des pièces se détache d’une approche chronologique ou par “écoles”, et propose une navigation selon les partis pris formels, de la plus grande légèreté à la plus forte présence de l’objet. La recherche d’un allègement structurel et d’une plus grande fluidité visuelle, de Mies van der Rohe à Hans Bellman, en passant par la «Sandow chair», de René Herbst, qui réduit au minimum non seulement le piètement mais également les éléments d’assise et de dossier, simples sangles industrielles, sont manifestes dans la plupart des réalisations modernistes, des pionniers du mouvement moderne à leurs héritiers américains, européens ou scandinaves.

Les innovations techniques conditionnent souvent ces choix formels : le système de porte-à-faux, qui allège le piètement, émerge grâce à l’utilisation de tube d’acier (Ludwig Mies van der Rohe) ou au contreplaqué moulé (Alvar Aalto). Plus récemment le procédé technique de l’“air moulding”, utilisé pour la première fois par Jasper Morrisson au début des années 2000, pour son “Air chair”, permet de pousser plus avant la recherche de légèreté, non dans la forme de l’objet, qui apparaît “plein”, mais dans son processus de fabrication même.

Exposition en coproduction avec la Biennale internationale de Design.

Vue de l'exposition, salle 2 - Ombre portées. Harold Barnett, "Vaisselle 2000", Duralex, Saint-Gobain, France, 1968. © DR.
Photo Yves Bresson / Musée d'Art Moderne.
Salle 2 - Ombre portées. Harold BARNETT, "tasse et soucoupe 2000", Duralex, Saint-Gobain, France, 1968. © DR.
Photo Yves Bresson / Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne Métropole.